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Les bactéries sont également ce que nous sommes


Virus, microbes, bactéries… ils sont partout, autour de nous, sur nous, en nous ! Et cette nuée de 10 000 milliards d'êtres minuscules gouverne notre développement, notre immunité, nos goûts, nos émotions, jusqu'à nos relations sociales ! Nous ne faisons qu'un avec eux, constate une nouvelle génération de biologistes, généticiens, spécialistes de l'évolution… qui annonce un changement de paradigme : au-delà de l'organisme, une nouvelle définition de l'individu et du soi s'impose. Certains l'appellent "holobionte", d'autres "symbiose"…Notre ego est en train de tomber de son piédestal.

VIDEO: Le monde invisible du vivant : bactéries, levures, champignons, amibes… et aussi virus
Université Ouverte

Nos microbes contrôlent… nos relations sociales

VIDEO: La vie secrète des bactéries dans ton corps
SYMPA

L’idée fait son chemin parmi les spécialistes : et si le développement de la sociabilité dans le règne animal s’expliquait – au moins en partie – par l’action des microbes ? De nombreuses publications attestent déjà que la sociabilité de la souris est modulée de près par son microbiote. « Les spécimens axéniques [élevés en milieu stérile depuis leur naissance] font preuve d’une sociabilité réduite : ils passent par exemple moins de temps à explorer un nouvel individu introduit dans le groupe » , indique John Cryan, de l’University College Cork (Irlande), un des spécialistes mondiaux du micro-biote. On constate également que des modifications du microbiote altèrent la production d’ocytocine, hormone connue pour générer attachement et lien social. « Une bactérie qui favorise la sociabilité accroît ses propres possibilités de propagation », analyse le chercheur. Et ce n’est pas tout : nos microbes pourraient même être impliqués dans le choix de nos partenaires sexuels. Dès 2010, une étude a montré que deux groupes de drosophiles développant des microbiotes différents préféreront s’accoupler avec des partenaires au microbiote proche du leur. Depuis, nombre de travaux ont montré que l’odeur corporelle, critère majeur du choix sexuel dans tout le règne animal (nous compris), résulte principalement de l’action des microbes.

Nos microbes conditionnent… notre développement

VIDEO: BACTÉRIES ET LEVURES NOUS SOIGNENT DEPUIS L'ANTIQUITÉ
Georges MOUTON

Une influence sur le rythme de croissance du fœtus, puis de l’enfant ; une corrélation avec le poids de naissance ; un rôle dans la construction du système digestif ; dans la mise en place des neurones… Des études le montrent : nos microbes interviennent tout au long de notre développement. Ce sont les données amassées sur les souris axéniques (isolées en milieu stérile) qui révèlent leur importance. Les chercheurs ont observé qu’elles ont une paroi intestinale plus mince, moins musclée, moins irriguée ; elles possèdent moins de cellules glandulaires et fabriquent donc moins de cellules digestives. Et un mot, leur système digestif est inachevé. Comme leur système immunitaire, dont 80 % se con centrent autour de l’intestin. « Les tissus immunitaires du tube digestif sont sous-développés, quasi vides de lymphocytes, et les ganglions voisins sont immatures » , précise Marc-André Selosse, du Muséum d’histoire naturelle. Quant à notre système nerveux, il semble avoir besoin, pour se développer au stade fœtal, des microbes maternels. Dans un article de septembre 2020, une équipe de l’université de Californie a montré que les embryons portés par des souris axéniques ont des neurones plus courts et une expression réduite de certains gènes cérébraux, conduisant à des troubles comportementaux chez les souriceaux.

… et façonnent notre immunité

VIDEO: C'est pas sorcier -ANTIBIOTIQUES : bactéries font de la résistance
C'est pas sorcier

De l’épilepsie au cancer en passant par la schizophrénie… dans une conférence TED de 2015, Elaine Hsiao recensait déjà dans la littérature scientifique 26 maladies associées à des changements de microbiote – on n’a cessé d’en découvrir de nouvelles depuis, même si causes et effets sont parfois difficiles à démêler. Les microbes agissent parfois comme des freins sur notre système immunitaire en prévenant les réactions disproportionnées qui provoquent allergies et maladies auto-immunes. La maladie de Crohn, par exemple, qui se manifeste par une inflammation chronique de l’intestin, régresse (temporairement) sous l’effet de transferts de microbiote sain. De même, des travaux récents ont montré que Bacteroides fragilis, une bactérie intestinale, atténue sensiblement les effets de la sclérose en plaques en agissant sur les lymphocytes T régulateurs. Quand Lactobacillus casei semble, elle, réduire l’eczéma, autre maladie inflammatoire. Mais on observe aussi l’inverse : le microbiote aide parfois le système immunitaire à s’activer. Sans compter qu’il produit des substances antibiotiques gênant l’établissement de pathogènes… Dans une étude d’août 2020, des chercheurs canadiens ont ainsi révélé que des bactéries favorisent les défenses de l’organisme contre le cancer colorectal en synthétisant une petite molécule, l’inosine, qui dope l’activité anticancéreuse des lymphocytes T.

Nos microbes gouvernent… nos goûts

VIDEO: Sommes-nous seuls dans l'Univers ? — Le paradoxe de Fermi [Astrobiologie #3]
ScienceEtonnante

Pourquoi certains d’entre nous sont-ils si irrésistiblement attirés par les aliments sucrés, tandis que d’autres ne jurent que par le fromage et le pain noir ? Une partie de la réponse est certainement à chercher parmi nos hôtes microbiens, dont les pouvoirs sur nos affinités gustatives et olfactives sont avérés. L’exemple de référence est bien sûr le microbe parasite Toxoplasma gondii, qui va se loger dans l’amygdale (une région du cerveau) de la souris, à laquelle il confère une attraction… pour l’urine de chat, l’animal au sein duquel le microbe achève son cycle ! Sans aller jus-qu’à coloniser notre cerveau, les microbes présents dans notre bouche influent sur notre perception des goûts, a révélé une étude de 2019 de Camilla Cattaneo, de l’université de Milan. Elle a, avec son équipe, découvert que des bactéries (dont Campylobacter et le groupe des actinobactéries) sont associées à une sensibilité gustative plus élevée. Il a également été montré que des souris axéniques perçoivent moins le goût sucré. Et d’autres études ont révélé que, selon la composition de leur microbiote, les drosophiles favorisent des aliments différents, adoptant un comportement qui renforce le groupe bactérien déjà dominant ! Pour Marc-André Selosse (MNHN), même si c’est extrêmement complexe à mettre en évidence, il y aurait une logique évolutive et une vraisemblance à ce que nos populations de microbes nous poussent vers des aliments qui les favorisent. Nos goûts constituant ainsi un terrain de lutte entre nos bactéries !

… et commandent même nos émotions

VIDEO: Tout savoir sur les BACTERIES - MEMORISER TOUTES les bactéries
Antoine - The Ant! Man

Les souris sans microbes sont plus confiantes et exploratrices que les autres ! Chez l’humain, Toxoplasma gondii, agent de la toxoplasmose, rend les hommes plus « suspicieux, jaloux et dogmatiques » – alors qu’il génère un excédent de confiance chez les femmes ! La capacité des microbes à influencer sur une grande variété de nos émotions, et donc notre caractère, est en train de se révéler. Le stress ? Une étude du laboratoire de John Cryan, à Cork (Irlande), qui pratique des batteries de tests sur des volontaires sains (surveillance du sommeil d’étudiants avant les examens, réactions durant des entretiens… ) a montré que l’apport de certains microbes, comme Bifidobacterium longum 1740, soulage fortement ses manifestations chroniques et aiguës. La dépression ? Dans un article de février 2019, Jeroen Raes et ses collègues pointent la raréfaction de plusieurs familles de bactéries chez les grands dépressifs : Coprococcus, Faecalibacterium , Dialister … contribueraient au bien-être via un métabolite de la dopamine. L’anxiété ? Une étude impressionnante d’Elaine Hsiao montre qu’inverser le microbiote de deux groupes de souris peu ou très anxieuses suffit à inverser leurs résultats aux tests d’anxiété ! Une démonstration qui donne à réfléchir sur les effets secondaires psychologiques possibles des transplantations fécales, de plus en plus courantes chez l’humain.

C’est une révolution qui se propage à travers les sciences du vivant, grignotant peu à peu, jusqu’à les vider de leur contenu, des concepts que l’on croyait éternels : l’individu ; le soi et le non-soi ; la transmission stricte des gènes… sont en train de voler en éclats. Un bouleversement qui fait vaciller l’œuvre des monstres sacrés des sciences du vivant que sont Charles Darwin, Louis Pasteur ou Jacques Monod. Un changement de paradigme vertigineux qui est en train de faire disparaître la notion même d’organisme ! Biologistes, spécialistes des écosystèmes et de l’évolution, généticiens, chercheurs en médecine… tous découvrent aujourd’hui que les frontières du corps sont poreuses : au-delà de cet ensemble d’organes et de cellules délimités par une enveloppe… nous sommes une symbiose ! Et ce « nous » désigne non seulement les humains, mais aussi tous les animaux et les plantes, cet ensemble que le virologue Patrick For-terre appelle les « macrobes » , les êtres vivants visibles à l’œil nu. Et tout cela, par la faute… de nos microbes. De notre imbrication intime, notre entrelacement, avec un monde microbien invisible dont on découvre aujourd’hui non seulement la stupéfiante richesse, mais aussi la puissance insoupçonnée.

La symbiose humaine

VIDEO: Les bactéries 🦠
ATG start

Notre peau et nos organes abritent autant de microbes que de cellules (ici les principales familles). Ils interagissent en permanence avec notre corps via les systèmes sanguin, nerveux et immunitaire.

Les prémices de cette révélation sont connues. Nous les avons déjà relatés dans nos pages (voir n° 1133 et n° 1183) : non, nos microbes n’ont rien d’une insignifiante population qui cohabiterait pacifiquement avec nous et nous attaquerait parfois. Au contraire, ils agissent sur nous, et avec nous, et cela à chaque instant. Ça a commencé dans notre ventre, avec la découverte il y a une vingtaine d’années de l’importance des bactéries qui peuplent notre tube digestif. En particulier grâce à l’explosion, dans les années 2000, de la métagénomique : l’étude des gènes non pas d’un organisme, mais d’un environnement à l’aide de nouveaux outils permettant de séquencer et d’analyser avec une vitesse et une puissance impressionnantes. « Une révolution technologique qui a eu d’énormes prolongements conceptuels » , résume Samuel Alizon, chercheur en écologie des populations au CNRS. Ainsi, en 2005, une première étude montrait que ces populations permettent la maturation du système immunitaire. Dans la foulée, plusieurs travaux prouvaient que des transferts de micro-biote induisent le transfert de caractéristiques telles que l’obésité. En 2007 le projet Human Microbiome Project commençait à coordonner le travail d’équipes du monde entier, avec l’objectif de séquencer l’ensemble des microbes humains. Puis en 2010, l’Earth Microbiome Project fédérait plus de 500 équipes travaillant à documenter la diversité microbienne de la Terre. Les publications démontrant les incroyables pouvoirs du microbiote ne devaient plus cesser de paraître… La moisson fut phénoménale. Chacun des coups de filet de la métagénomique a rapporté une quantité stupéfiante de gènes microbiens, révélant des micro-organismes infiniment plus nombreux et variés qu’on ne s’y attendait. Des légions entières de microbes présents au cœur même des organes animaux et végétaux (on a par exemple appris il y a 5 ans environ que les poumons ne sont pas stériles), parfois même au beau milieu de leurs cellules – sans que cette présence n’ait d’effet pathologique… Un contre-pied radical à la pensée pasteurienne et hygiéniste longtemps dominante, selon laquelle un corps en bonne santé est fondamentalement dépourvu de microbes : nous vivons entourés et habités, jusque dans le moindre recoin de notre corps, par un océan de micro-organismes. Mais ce n’est pas tout. Ces dernières années, un pas supplémentaire a encore été franchi. Les interactions entre notre corps et ces milliards d’êtres vivants qui nous enveloppent et nous peuplent sont apparues de plus en plus étroites, nombreuses et importantes pour notre fonctionnement biologique. Voici la deuxième révolution microbiotique. Sans doute la plus profonde ! Car ces êtres microscopiques ne sont pas de simples passagers clan destins passifs, comme beaucoup l’ont d’abord supposé, mais des partenaires biologiques à part entière, avec lesquels nous traitons d’égal à égal – tout invisibles et minuscules soient-ils. Et bien que parfois nocifs – les épidémies en témoignent -, ces bactéries, champignons, archées, virus sont le plus souvent de précieux, voire d’indispensables compagnons microscopiques. C’est en effet notre microbiote qui construit nos systèmes nerveux et immunitaire, repousse les envahisseurs, contrôle notre métabolisme, nos goûts, notre caractère… (lire p. 70) . Notre bonne santé, notre survie dépendent des multiples associations à bénéfice mutuel que nous contractons avec les centaines de milliards de microbes qui nous habitent et nous entourent… Des symbioses !

La symbiose terrestre

VIDEO: Il était une fois… la Vie 🌱- La bouche et les dents 🦷
Il était une fois... (Hello Maestro)

À tous les échelons du vivant, les microbes assurent des connexions et des fonctions essentielles sans lesquelles les écosystèmes s’écrouleraient.

Ce microbiote, insiste Marc-André Selosse, professeur au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et principal spécialiste français des symbioses, n’est pas une oasis intestinale isolée. Nous sommes en réalité tapissés partout sur notre peau d’une couche de microbes, bactéries et levures (jusqu’à 10 millions sur chaque centimètre carré de nos mains), qui se raréfient sur les parties exposées et sèches, comme les genoux, et foisonnent extraordinairement dans les creux humides du nombril ou des aisselles, formant des écosystèmes variés et spécifiques dans toutes nos cavités, parfois incroyablement denses (1 200 espèces de bactéries colonisent le seul espace entre nos dents et nos gencives)… En tout, quelque 10 000 milliards de bactéries, à peu près autant que de cellules « à nous » dans notre corps.

DES « GEYSERS MICROBIENS »

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Albin Perigault

Et c’est aussi le cas de tous les animaux et plantes. Les symbioses sophistiquées déjà célèbres (entre champignons et algues dans les lichens ; entre plantes et champignons dans les racines ; entre certains insectes et leurs bactéries digestives…) ne sont pas des exceptions. Elles sont en réalité la norme et illustrent l’interdépendance généralisée entre microbes et macrobes, ces derniers ayant besoin des premiers pour d’innombrables fonctions : éliminer des toxines, empoisonner leurs prédateurs, briller dans le noir, modifier leur forme, leur structure, échanger des signaux, capter des nutriments, dégrader leurs déchets… Sans compter que tout suggère -même si c’est encore en voie d’exploration – que les microbes sont également très interdépendants entre eux. « Les bactéries sont des collectifs évolutifs qui s’échangent constamment des gènes, observe Éric Bapteste, biologiste de l’évolution au MNHN, et les propriétés de celles qui survivent individuellement en font peut-être des organismes atypiques… » Les unes auraient-elles besoin pour leur métabolisme des produits sécrétés par les autres ? L’hypothèse est plausible, selon les biologistes. « On observe, note Marc-André Selosse, que quand des microbes cohabitent pendant des temps longs, leur interdépendance augmente, car l’évolution les conduit, par économie de ressources, à éliminer certains gènes redondants. » En tout cas, il n’y a pas que les macrobes qui ont besoin des microbes, les microbes ont aussi besoin les uns des autres, et il n’y a pas que les bactéries, en particulier, qui aient des virus symbiotiques. On sait même que les macrobes transmettent une part de leurs « microbes amis » à leur descendance. Chez les humains, et les mammifères en général, cette transmission emprunte divers canaux : passage par le vagin à la naissance, qui expose le nouveau-né aux microbes maternels, allaitement, toucher. Plus généralement, chacun d’entre nous est un « geyser microbien » , selon l’expression de Jack Gilbert, de l’université de Chicago, qui rappelle que nous disséminons 15 millions de bactéries par heure autour de nous ! Chez beaucoup d’espèces, cette transmission à la descendance de « microbes amis » ne se fait pas simplement par dissémination, mais de manière précise et automatique. Chez les insectes notamment, où l’on trouve beaucoup de symbiotes « obligatoires », des micro-organismes dont l’absence provoque la mort de l’hôte, différents systèmes ont vu le jour permettant « d’ensemencer » les œufs avec les micro-organismes dont ils auront besoin pour se développer. Même chose chez certaines plantes, qui emportent avec leurs graines les symbiotes nécessaires… Par là se dessine inévitablement une nouvelle vision du vivant. Dans « La prochaine révolution de la biologie », un article prophétique paru dans Nature en 2007, le grand évolutionniste Carl Woese, peu avant sa mort, notait que la biologie était à la veille d’une révision de ses concepts qui ferait place à « l’importance des phénomènes collectifs » , et se traduirait par une transformation de son langage.

DES NÉGOCIATIONS PERMANENTES

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Ainsi l’immunologie, la science de l’interaction des organismes les uns avec les autres est-elle aujourd’hui contrainte de « repenser ses fondamentaux, explique Thomas Pradeu, philosophe des sciences au CNRS, actuellement à Stanford. Car la métaphore traditionnelle de ‘l’armée chargée de défendre le soi contre l’envahisseur que serait le non-soi’, encore universelle, est trompeuse » . À la lumière des découvertes sur le micro-biote, le système immunitaire apparaît avant tout comme un organe de dialogue et de diplomatie. Certains microbes sont acceptés, voire favorisés, d’autres seulement tolérés, et bien sûr une petite fraction d’entre eux, de l’ordre de 10 %, est combattue – avec une énergie variable, ce qui est heureux puisque le combat occasionne parfois des dégâts collatéraux plus sévères que le microbe lui-même… « Cette révolution conceptuelle est d’autant plus importante que non seulement tous les animaux et les plantes ont des systèmes immunitaires, mais qu’on pourrait aussi considérer que c’est le cas des micro-organismes » , ajoute Thomas Pradeu. Les bactéries, par exemple, conservent une mémoire des virus qui les ont attaquées, ce qui leur permet de les repousser plus vite la deuxième fois. Il faut donc se représenter le vivant non comme la guerre de tous contre tous, ce qui constituait une interprétation étroite et même idéologique du darwinisme, mais un vaste réseau d’entités interpénétrées en négociation permanente. Avec, certes, des conflits meurtriers de-ci, delà, mais aussi une palette d’associations, parfois ténues, pouvant aller jusqu’à l’incorporation définitive ou l’interpénétration complète de deux ou plusieurs organismes, devenus incapables de survivre séparément !

Au-delà de l’organisme, ce qui compte ce sont les interactions

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Qu’est-ce qui est constitutif du vivant ? Pour l’évolutionniste Éric Bapteste, ce dernier est le résultat de l’interaction de réseaux multiples, non seulement faits d’organismes (petits et grands), mais aussi de molécules, de protéines, de gènes… « Tout biologiste sent bien que ce sont les liens qui sont déterminants. Se focaliser sur les organismes, ou les unités, en les isolant pour mieux les analyser semble donc avoir quelque chose de contre-intuitif » , plaide-t-il. Une conception trop abstraite ? Pas tant que ça, à l’heure des réseaux sociaux, où chacun comprend bien ce qu’est une communauté… D’autant que lorsqu’on représente ces réseaux du vivant dans le temps, on voit apparaître des ensembles de relations résilientes, qui résistent aux perturbations ou se reconstituent après. Et le chercheur d’interroger : « Et si c’était sur ces associations, sur ces partenariats qu’agit la sélection naturelle, et non sur les individus ? »

Au-delà de l’organisme, l’holobionte rassemble microbiote et hôte

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Comment considérer un animal ou une plante avec l’ensemble de ses microbes, afin de mieux comprendre ses succès ou ses échecs évolutifs, sa santé, son fonctionnement, les interactions qu’il noue avec son environnement ? Pour Marc-André Selosse, la réponse se trouve dans le concept d’holobionte : une entité qui rassemble les deux, l’hôte et ses microbes. Ce n’est pas que la notion d’organisme soit fausse en elle-même, c’est une représentation du monde qui a offert beaucoup de compréhensions nouvelles et qui a eu une utilité pratique : nous lui devons beaucoup d’applications médicales ou agronomiques. Mais l’approche globale de l’holobionte, malgré sa complexité, est désormais accessible… même si elle reste réductrice : elle ne restitue pas, selon le biologiste, à quel point le monde « est un océan de microbes dans lequel ‘flottent’ des structures plus grandes et pluricellulaires ».

REDÉFINIR LES FRONTIÈRES DU VIVANT

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Mais cette révolution conceptuelle dépasse l’immunologie. Ces symbioses que l’on découvre partout fracassent les frontières, autrefois étanches, entre êtres vivants. Pis, ces limites apparaissent désormais arbitraires. Impossible par exemple de comprendre le succès évolutif de certaines plantes dans les milieux pauvres sans tenir compte de leur alliance avec des bactéries fixatrices d’azote. Ou encore : « Un biofilm, ces tapis bactériens que l’on trouve partout, depuis nos éviers de cuisine jusque sur nos dents, possède certaines caractéristiques d’un organisme ; les bactéries qui le composent sont des clones qui échangent des signaux, se coordonnent, se répartissent les rôles… » pointe Thomas Pradeu. Puisque les symbioses sont la règle, de plus en plus de chercheurs estiment qu’il faut en tenir compte dans la définition même d’un être vivant. La notion d’organisme doit s’étendre pour laisser place à un concept plus large. « Le concept d’individu biologique mérite d’être repensé, plaide Thomas Pradeu. En biologie, toutes les entités sont des communautés. » Alors, quels mots faut-il utiliser ? Plutôt que des organismes, serions-nous des super-organismes, des écosystèmes, voire des assemblages d’écosystèmes ? À l’appui de cette idée, le microbiote intestinal est comparé par Marc-André Selosse à une forêt, où les antibiothérapies, comme les invasions de pathogènes, seraient des sortes « d’incendies », après lesquels la forêt se reconstituerait ou, à l’inverse, céderait la place à une steppe désolée ! Une grande réflexion théorique est en cours. Certains chercheurs sont même déjà en train d’élaborer de nouvelles définitions. Le microbiologiste Eugène Rosenberg et son épouse Ilana ont ainsi forgé le concept d' »holobionte », qui pourrait se traduire par « être vivant entier », pour désigner l’entité formée par un organisme et l’ensemble des microbes qu’il héberge (lire p. 81) . Ce terme a fait l’objet de plusieurs congrès internationaux et intégré la littérature scientifique. Mais les critiques jugent cette notion floue, instable, et donc inopérante : quels microbes faut-il inclure dans cet holobionte, puisque certains ne servent à rien, et que les organismes changent parfois radicalement de microbes associés ? Thomas Pradeu a une autre stratégie : plutôt que de chercher vainement des unités « vraies », mieux vaut se contenter d’unités ayant un sens en fonction de la question scientifique posée. Il plaide ainsi pour considérer des « unités immunologiques » , autrement dit de « laisser le système immunitaire décider ce qui fait partie de l’unité ou pas » , une approche qu’il considère logique et « articulable avec d’autres » . Éric Bapteste, lui, cherche de son côté à explorer avec des outils mathématiques et informatiques ce que pourrait être cette biologie « post-organisme » (lire p. 80) : « On peut représenter le vivant par des réseaux. Les nœuds sont des organismes, que l’on peut colorier en fonction de leur génétique, et qu’on relie par des arêtes représentant leurs interactions… On peut ensuite faire des séries spatiales ou temporelles, trouver les interactions résistantes, manipuler tous ces objets mathématiques et comparer leur architecture… » Il est trop tôt pour dire quels concepts et représentations du vivant vont émerger de ce foisonnement intellectuel. « Chacun de ces termes est une représentation qui a ses avantages et ses inconvénients, explique Marc-André Selosse. L’holobionte a, dans une certaine mesure, permis de dépasser l’organisme, ce qui constitue un progrès. Mais on peut aussi considérer que c’est une tentative de sauver l’idée d’organisme en l’adaptant, au détriment d’une vision plus large, fondée sur les réseaux plutôt que sur les individus. » Mais au vu de la puissance des microbes et de la multiplicité de nos imbrications, une chose est désormais claire. Le prisme de l’individu, qui vient à la fois de la philosophie occidentale et d’un certain capitalisme anglo-saxon, trouve aujourd’hui, selon le chercheur, ses limites en biologie. Et cela pourrait tout changer : notre pharmacopée, notre agriculture, notre gestion du réchauffement climatique. De notre capacité à comprendre et agir sur le monde longtemps négligé de l’invisible dépendra en partie la résolution des grands défis du XXIe s. (lire p. 84). L’organisme n’est plus. Et c’est finalement tout notre rapport à notre environnement et aux autres espèces qui s’en trouve bouleversé. Notre identité s’est dissoute dans un monde global foisonnant d’interactions. Des milliards et des milliards de bactéries participent à notre être. Renversement ultime de notre tendance à l’ethnocentrisme, et n’en déplaise à notre ego macrobien : nous vivons en symbiose !

Au-delà de l’organisme, l’individu peut être défini par son immunologie

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Qu’est-ce qu’un individu ? Pour Thomas Pradeu, il peut être défini par sa physiologie : « Un macrobe et tous les microbes qui contribuent à son bon fonctionnement.  » Définition qui exclut donc tous les microbes sans « rôle », qui sont là temporairement ou par hasard. Une autre conception serait de définir des unités évolutives : par exemple « un macrobe et tous les microbes qui se transmettent avec lui à la génération suivante ». Ceci exclut aussi une bonne part du microbiote, qui n’est pas transmis… mais pas forcément la même. Le chercheur préconise donc une définition immunologique : l’unité serait « le macrobe avec tous les microbes que son système immunitaire tolère ». Et donc un ensemble bien plus large. Mais ce concept pose problème aussi : par exemple, comment considérer les microbes contre lesquels notre système lutte ? Ou nos organes que le système immunitaire rejette, dans le cas des maladies auto-immunes ?

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Author: Blake Page

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